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Je me suis assise sur ce banc. Sur ce banc dans le jardin public que je traverse chaque mercredi. Chaque mercredi je traverse le jardin public et je passe devant ce banc. Ce banc sur lequel je me suis assise aujourd'hui. Aujourd'hui je me suis assise sur ce banc pour respirer. Respirer l'air du jardin au cœur de la ville dans laquelle je cours sans cesse. Sans cesse car je ne prends pas le temps de m'arrêter, je n'ai pas le temps, je n'ai pas le droit au temps. Le droit au temps, c'est pour les autres. Les autres, ceux qui peuvent s'asseoir sur un banc pour respirer, regarder. Regarder leurs semblables étrangement différents ressemblants à tous les autres pourtant. Tous les autres pourtant peuvent s'asseoir, respirer, regarder et ne pas voir. Ne pas voir que je n'ai pas le droit au temps, le temps de m'asseoir, de respirer de regarder. Regarder c'est pour les autres, je n'ai pas le droit de regarder. Regarder c'est envier ou donner envie. Donner envie de me regarder, de me respirer. Me respirer, sentir l'odeur de ma peau, chair de poule d'effroi. Effroi saisissant qui dure depuis des années. Des années sans dormir. S'endormir en paix. En paix, je m'assois sur ce banc pour me respirer. Me respirer n'est pas pour les autres mais pour lui. Pour lui à chaque instant de ma vie. Ma vie dépendante de lui. Lui et moi pour la vie, pour la vie sans vie. Sans vie, je traverse le jardin public tous les mercredis. Tous les mercredis je passe devant ce banc mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, je m'y arrête et m'assois pour respirer. Pour respirer et regarder mes semblables étrangement différents. Différents et saisissants. Saisissant cet instant, je me lève pour suivre des passants au gré des allées. Aller et venir, venir et s'enfuir. M'enfuir. Je disparais. Je disparais. Je disparais. Disparaître pour ne plus être invisible.